Lundi 9 janvier 2017, de 9 h 30 à 12 h 30 HNA
Salle 401 du Dalhousie Arts Centre, 6101 rue University
Dans le cadre du festival Open Waters Festival 2017
Une présentation du RCMN en collaboration avec l’Upstream Music Association et SuddenlyLISTEN
Rapport par Jennifer Waring
La séance de Halifax a donné un excellent coup d’envoi à la conversation tournante sur la diversité organisé par le RCMN. Nous avions vingt-trois participants en personne et quinze participants à distance. L’activité de trois heures était divisée en deux parties : une table ronde avec participation du public et un exercice en cercle qui s’est par la suite divisé en petits groupes de discussion.
Animatrice :
Ellen Waterman, ethnomusicologue et improvisatrice (St. John’s)
Conférenciers.ères :
Juliet Palmer, animatrice, compositrice, collaboratrice, Directrice artistique Urban Vessel (Toronto)
Rémy Bélanger de Beauport, improvisateur et organisateur (Québec)
Dinuk Wijeratne, compositeur, pianiste et chef d’orchestre (Halifax)
Introduction
La séance de Halifax portait sur la communication : qu’est-ce qui constitue de la communication, les modes de communication et les publics auxquels on s’adresse. Nous avons formulé l’enjeux comme ceci :
Lorsqu’elle est bidirectionnelle, la communication repose sur la clarté d’expression et l’écoute active. Pour être efficace, elle ne peut pas se limiter à un simple échange d’informations ; elle implique comprendre les émotions et les intentions qui se en arrière plan. Pour accroître la diversité dans les musiques de création, il faut se sensibiliser aux types de messages que nous envoyons aux auditoires et aux musiciens. Il faut être à l’affût des occasions d’écouter les gens qui ne connaissent pas encore les musiques de création, pour apprendre leurs besoins et leurs désirs, et ainsi déduire les caractéristiques d’un environnement qui permettrait de les accueillir.
Dans cette conversation, nous explorerons quelques motivations et moyens de communication, autant au sein des scènes des musiques de création qu’à l’extérieur de celles-ci. Pourquoi cherchons-nous à diversifier la palette de participants et de formes d’expression dans les musiques de création ? Quels sont les messages que véhicule notre programmation et nos campagnes publicitaires ? Quels sont les publics potentiels que nous n’atteignons pas, voire que nous excluons ? Et notre approche de la programmation est-elle ouverte et invitante pour les artistes ? Cherchons-nous activement des voix nouvelles et diversifiées, de nouveaux modes d’expression, autant que nous le devrions ?
À la séance de Halifax, nous avons commencé avec une reconnaissance du territoire traditionnel :
Nous voudrions commencer en soulignant que nous nous trouvons en Mi’kma’ki, le territoire ancestral non cédé des Mi’kmaqs. Ce territoire est visé par les « traités de paix et d’amitié » que les Mi’kmaqs et les Wolastoqiyiks (Malécites) ont conclus avec la Couronne britannique en 1725. Les traités en question ne comportaient pas de clause relative à la cession des terres et des ressources, mais en fait reconnaissaient le titre des Mi’kmaqs et des Wolastoqiyiks (Malécites) et définissaient les règles quant à ce qui devait être des relations durables entre nations.
La perspective des conférenciers
Rémy Bélanger de Beauport est violoncelliste-improvisateur depuis 15 ans. Il organise aussi des espaces sécuritaires pour la communauté LGBTQI. Il partage sa grande expérience dans la programmation de concerts et d’activités qui soutiennent la lutte contre l’homophobie. Il souhaite traduire cette sensibilité dans la diversité sous toutes ses formes.
Juliet Palmer est originaire d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande). Elle a grandi dans la compréhension de l’importance qu’ont les peuples autochtones pour la vie et la culture d’un pays. Comme immigrante, elle cherche à mieux connaître le riche mélange de cultures et des communautés qu’on trouve au Canada et comment les rejoindre de manière créative.
Dinuk Wijeratne est né au Sri Lanka et a vécu en Angleterre et aux États-Unis avant de s’installer au Canada en 2005. Il a vécu une vie nomade où l’éclectisme occupait une place importante, chose qui se reflète dans sa musique. À titre d’immigrant nomade, il n’a pas de « sens de la gravité » et se questionne sur comment transformer cette lacune à son avantage. Les situations et les endroits qui n’ont pas de fibre éclectique ne résonnent pas chez lui. Il contemple le monde par le biais de la diversité.
Idées et observations principales
Au fur et à mesure, les idées et observations suivantes ont émergées :
Les femmes en musiques nouvelles
La bataille n’est pas gagnée. Environ 20 % des compositeurs canadiens sont des femmes, mais, dans bien des cas, celles-ci sont complètement absentes de la programmation des festivals et des diffuseurs. De plus, que 4 des 70 professeurs agrégés aux universités au Canada sont des femmes. Imaginez les possibilités s’il y avait plus de femmes dans ces postes.
La musique reflète-t-elle l’identité ou les origines de son compositeur ou créateur ?
« La musique que nous créons est si excitante ; ce serait bien d’attirer plus de gens, et des groupes plus diversifiés. Mais qu’est-ce qui m’émeut autant dans la musique ? Parce que ça peut être un obstacle. Est-ce possible que cette musique parle uniquement aux privilégiés qui ont le temps, qui sont bien dans leur peau et qui ont le loisir de participer à la société ? J’espère que ce n’est pas le cas. J’espère qu’il s’agit d’une musique engagée et engageante pour tout le monde. Mais je m’interroge sur cette notion de privilège, à savoir si cette musique est pour tous. » Rémy Bélanger de Beauport
Rémy voudrait aussi croire qu’il existe une corrélation entre ses identités « queer » en général, qu’il définit comme non hétéronormatives, et la musique qu’il crée, qu’on ne joue pas à la radio et qui n’entre pas dans le modèle capitaliste de la musique. Cette combinaison entre musique non traditionnelle et identité non traditionnelle lui convient bien mais pourtant, dans les bars gais, on entend de la musique commerciale et de même, dans les musiques nouvelles, on trouve des hommes blancs hétéros. Alors, quel est ce décalage ?
L’esthétique comme obstacle à la communication
Les jeunes sont ouverts à un grand éventail de styles. En vieillissant, on s’identifie plus clairement à un style, on se range dans une clique ; on devient plus fermé, moins inclusif. Pourquoi ?
« J’ai un besoin enfantin d’éclectisme. Comme compositeur de musique classique contemporaine, je m’interroge : « Comment cela communique-t-il ? Et qu’est-ce que ça communique ? » La communication ne devrait pas reposer sur le style. Si on me demande d’écrire une pièce qui rivalisera avec la 5e de Beethoven, cela soulève beaucoup de questions pour l’artiste, le public et le diffuseur, et ça revient à la question du style. » Dinuk Wijeratne
Les portes d’entrée sur la musique
« Permettez-moi d’intervenir comme modératrice pour souligner que la porte d’entrée sur la musique est minuscule. Il faut se poser la question : qui filtrons-nous, qui éliminons-nous dans nos formations ? C’est une question compliquée. » Ellen Waterman
En réponse à la question de l’importance de la diversité, on peut retourner la question et demander : « Pourquoi limiter l’accès à la musique ? Qu’est-ce qui motive les barrières ? » Autrement dit, tentons d’abord d’expliquer l’étroitesse de cette porte.
Communication : public cible
Dans notre marketing, nous avons l’habitude de cibler étroitement le public dont nous connaissons (ou soupçonnons) l’existence. Cela pourrait être une erreur. Nous devrions peut-être espérer le meilleur et communiquer plus largement.
Communiquer ce qu’on est autrement : les messages que nous véhiculons
- reconnaître qu’un concert a lieu sur un territoire occupé ;
- publiciser le fait que les toilettes de la salle de concert ne sont pas binaires ;
- au cas, annoncer qu’il y aura des éclairage stroboscopique ;
- publiciser les politiques sur les parfums ;
- publiciser l’accessibilité aux fauteuils roulants ;
- publiciser qu’il s’agit d’un espace sûr où l’homophobie, la transphobie et le racisme ne sont pas tolérés.
On peut englober tous ces éléments dans l’affirmation que le concert se déroule « dans un endroit sûr », mais est-ce suffisant ? Il peut être nécessaire de spécifier davantage.
« Je reconnais que certaines personnes croient que ce type de mesures souligne la différence et mène à la création de ghettos, mais je suis en désaccord avec cette idée. » Rémy Bélanger de Beauport
La communication et créer des liens – viser des communautés particulières
Il faut investir du temps dans la création de liens et dans les manières de le faire. Il est impossible de simplement envoyer un courriel aux jeunes à risque et de s’attendre à ce qu’ils viennent.
Une remarque sur les jeunes à risque et autres communautés du même genre – inversez la façon dont vous les identifiez, non comme des personnes marginalisées, mais comme des personnes possédant des compétences spécifiques, tout en reconnaissant qu’elles ont besoin d’un soutien particulier et d’une inclusion dans le processus artistique.
« Un jour, nous ouvrirons nos portes pour découvrir que ce que nous offrons n’est pas désiré. Par exemple, nous souhaitions créer un projet interdisciplinaire avec deux communautés, une au Japon et l’autre au Canada. Ces deux communautés avaient des liens parallèles avec l’histoire atomique, par les mines et la production d’électricité. Malgré leurs points communs historiques et notre enthousiasme pour le projet, l’une des communautés n’était pas intéressée. Comme quoi il faut parfois revoir ses propres intentions et savoir que les relation significatives ne se bâtissent pas du jour au lendemain. » Juliet Palmer
Paradoxe
Faire de la musique, c’est créer une communauté. Mais en créant une communauté, on devient exclusif.
Historique
Idée : Les musiques nouvelles dites « classiques » sont très hermétiques. Ni commerciales ni populaires, elles sont définies d’une manière très spécifique, en silo. Reconnaissons à quel point l’idée d’inclusion est nouvelle et radicale dans une pratique dont le mode de fonctionnement a été complètement l’inverse.
Contre-idée : La musique « classique » s’est toujours associé à la révolution et à de nouvelles propositions sur ce que devrait être la musique. La nature humaine étant ce qu’elle est, à mesure qu’on adopte les nouvelles avenues et qu’on y investit sa créativité, ces avenues deviennent sanctifiées, codifiées, et on se met à les défendre. On ne ferme pas la porte délibérément à quiconque, mais on devient exclusif dans ce que doit être la musique. Puis vient une nouvelle vague d’idées qui se rebellent contre la dernière nouvelle avenue si chérie, maintenant âgée et sclérosée.
« Je crois que la nature humaine est telle que nous avons cette tendance à fixer les choses dans leur temps et leur contexte. Lorsque nous tentons de figer les choses dans le temps, nous nous retrouvons devant une situation ironique (non sans intérêt artistique) qui découle de nombreuses contradictions, puisque la musique classique était et demeure constamment en mouvement et en révolte. » Dinuk Wijeratne
L’espace alternatif comme moyen d’entrer en relation avec d’autres communautés
Les salles construites pour présenter des concerts sont vides lorsque personne ne les utilise. Or, il existe d’autres espaces (bars, etc.) qui se bâtissent une clientèle en tout temps. Dans un événement présenté dans un espace alternatif, l’espace lui-même peut servir d’appât.
Le geste symbolique : comment le reconnaître et le remédier
Reconnaissons que l’appel à plus de diversité peut être source d’inclusion symbolique.
- Un jeune musicien biracial, présent à la séance, affirme ne pas savoir quoi répondre aux invitations qui lui semblent relever de l’inclusion symbolique.
- Quelqu’un raconte le cas d’une artiste autochtone qui hésitait à accepter des opportunités symboliques qu’on lui proposait, mais à qui on a conseillé d’en profiter. Par la suite, elle a pris ces occasions pour donner de la place à d’autres artistes marginalisés.
- Une compositrice exprime sa gêne à l’idée de faire partie de programmes exclusivement féminins.
- Quelqu’un propose l’idée de programmer une saison complète de compositrices, comme on voit encore des saisons complètes de compositeurs exclusivement masculins sans que cela soit mentionné explicitement.
- Une autre personne propose de confronter les diffuseurs qui se cachent derrière une réticence à recourir à l’inclusion symbolique pour ne pas programmer des gens d’une communauté X. Ces diffuseurs devraient faire plus de recherches.
Que faire lorsqu’on est confronté à la discrimination ?
- Si une situation vous rend inconfortable, dites-le en toute franchise.
- S’il s’agit d’un organisme, assurez-vous que quelqu’un dans cet organisme réagit à la situation de manière personelle et humaine.
- On peut faire preuve d’humilité tout en étant direct lorsque la situation le justifie.
Renverser les questions
Il peut être révélateur (et l’a été) de renverser le questionnement. Par exemple : « Pourquoi ne laissons-nous pas entrer plus de monde ? » devient « Pourquoi limitons-nous l’entrée ? »
Le cercle
« Conformément à notre souhait de susciter un débat ouvert, nous avons adopté la formule du cercle. Dans un forum où on se penche sur les obstacles à l’inclusion, il est crucial d’encourager la participation active des personnes qui composaient notre public pendant la première moitié de la séance. En passant d’un seul grand cercle à plusieurs petits cercles, nous avons cherché à créer une structure inclusive de participation communautaire. Cette approche s’inspire des cercles de parole des cultures autochtones et de formules de réunions non hiérarchiques issues d’autres traditions. » Juliet Palmer
On a commencé par un exercice de respiration qui s’est transformé en vocalisations et en improvisation : une discussion sous forme musicale. Puis, on a invité tout le monde à écrire ou dessiner sur une carte une réflexion sur la discussion qui a précédé : une question, une préoccupation, une intention personnelle. On a réuni ces cartes au centre du cercle, avant de les redistribuer. Ensuite, on a formé des groupes de trois ou quatre personnes, chaque groupe choisissant de continuer de discuter une des idées formulées sur ces cartes.
Cartes produites par la communauté aux trois séances (Halifax, Victoria, Montréal) :